La femme dans l’univers freudien

La femme dans l’univers freudien

Article rédigé par Véronique BOUSQUET, psychothérapeute.

 

HORROR FEMINAE

 

La complexité de la relation de la petite fille puis de la jeune fille avec l’homme – père ou époux – n’est en rien adoucie par le regard que porte sur elle, plus précisément sur son sexe, l’homme freudien. En effet, se dessine l’image d’une Gorgone à terrasser que FREUD lui-même ne nommera quasiment jamais. Elle fait une apparition furtive dans « La tête de Méduse » et FREUD doit utiliser le détour de la littérature pour effectuer la nomination impossible : « Chez Rabelais, écrit-il, encore, le diable prend la fuite après que la femme lui a montré sa vulve. »

Partout dans son œuvre, il note l’horreur et la terreur que provoquent les organes génitaux de la femme et l’influence funeste que ceux-ci sont supposés avoir. C’est par le terme Grauen qu’il désigne le sentiment éprouvé par la plupart des hommes. Il affirme même que c’est pour dissimuler cette horreur que le tissage aurait été inventé : « On pense que les femmes n’ont que faiblement contribué aux découvertes et aux inventions de l’histoire de la civilisation. Peut-être ont-elles cependant trouvé une technique, celle du tissage, du tressage. » Grâce à cet artifice, elles peuvent exciter, charmer les hommes qui sans cela reculeraient d’horreur devant cette béance infectée qui risque de les contaminer, et seraient condamnés à l’homosexualité : « Il n’est probablement épargné à aucun être masculin de ressentir la terreur de la castration lorsqu’il voit l’organe génital féminin. Pour quelles raisons cette impression conduit certains à devenir homosexuels et d’autres à se défendre par la création d’un fétiche, tandis que l’énorme majorité surmonte cet effroi, cela, certes, nous ne pouvons pas le dire. »

Ainsi que le rappelle Jacqueline SCHAEFFER dans Le refus du féminin, ce qui provoque l’horror feminae, ce n’est pas seulement la vue des organes génitaux de la femme, qui, à nouveau, confronte l’homme à l’angoisse de castration bien connue du petit garçon qu’il fut. C’est plutôt le fait, nouveau pour lui, qu’un être féminin puisse désirer être la proie d’une forte poussée pulsionnelle constante, et manifeste un masochisme érotique féminin qui appelle à toujours plus d’effraction, et de défaite. Cela peut paraître tout à fait intolérable au Moi d’un homme qu’un complexe de castration trop rigide protège mal contre des angoisses de féminin […] L’orgasme va plus ou moins rapidement y mettre fin, et tout rentre dans l’ordre dans le Moi. »

 

LA FEMME COMME DANGER

 

Dans cette perspective, il paraît logique que la femme soit perçue comme un danger mais de ce point de vue, FREUD ne fait qu’entériner une position qui prend ses racines dans la nuit des temps. Il réactive l’hypothèse platonicienne selon laquelle « Chez les femmes, ce qu’on appelle matrice ou utérus est un animal au dedans d’elles, qui a l’appétit de faire des enfants ; et lorsque, malgré l’âge propice, il reste un long temps sans fruit, il s’impatiente et supporte mal cet état ; il erre partout dans le corps, obstrue les passages du souffle, interdit la respiration, jette en des angoisses extrêmes et provoque d’autres maladies de toutes sortes. »

Au cours de l’histoire, cet « animal avide d’enfants » devient le lieu d’une puissance diabolique incontrôlable et maléfique. On aurait pu espérer que le souffle des Lumières mettrait un terme à cette angoisse. Il n’en est rien : les médecins du XVIIIème prendront la relève des exorcistes moyenâgeux et humanistes en soupçonnant la matrice de receler des semences pourries.

On connaît la légende de Tirésias accusé d’avoir trahi le secret de la jouissance féminine. Le XIXème siècle propose une version positiviste en considérant qu’en matière de lubricité, une femme vaut en moyenne deux hommes et demi.

La malédiction surgit du fond des temps : « C’est à cause de la femme que le péché a commencé et c’est à cause d’elle que nous mourrons. » (L’Ecclésiaste – XXV,24)

Ainsi, dangereuse, la femme l’est par nature. Mais, parce que, contrairement à l’homme, elle a un faible don pour la sublimation, elle représente également un danger pour l’institution dont on doit autant que possible la tenir écartée et même si de nos jours les positions ont évolué, la mise à l’index ou le petit nombre des femmes au sein de l’armée par exemple ou de l’église est symptomatique.

Que la femme ne puisse égaler l’homme dans la sublimation de la sexualité est un topos que FREUD reprend tout au long de son œuvre. C’est ce qu’il affirme dès 1907 lors d’une intervention : « Il est vrai que la femme ne gagne rien à étudier et que cela n’améliore pas, dans l’ensemble, la condition des femmes. En outre la femme ne peut égaler l’homme dans la sublimation de la sexualité. » Et d’ajouter : « Une femme ne peut en même temps exercer une activité professionnelle et élever des enfants. »

L’éloignement des femmes de l’institution devient même une nécessité et FREUD rappelle dans Psychologie des masses et analyse du Moi que : « l’état amoureux a souvent poussé même des ecclésiastiques à sortir de l’Église […] Dans les grandes masses artificielles, Église et Armée, il n’y a pour la femme comme objet sexuel aucune place. »

Dans son étude consacrée à La question féminine de Freud à Lacan Markus ZAFIROPOULOS cite longuement FREUD et souligne à quel point s’installe dans son œuvre une dichotomie entre, d’une part, la femme associée à la nature et d’autre part, l’homme associé à la culture. Il écrit : « On constate que pour FREUD, l’opposition famille/culture se redouble d’une opposition femmes/hommes, redoublement dont on ne comprend pas vraiment les motifs sauf à se rapporter une nouvelle fois à l’axiome selon lequel les femmes sont peu aptes aux sublimations pulsionnelles, sublimations auxquelles sont obligés les hommes par la culture et pour laquelle ils sont bien préparés du fait de la qualité de leur surmoi surclassant selon FREUD celui des femmes. »

C’est ce que confirme Monique SCHNEIDER dans son ouvrage intitulé Le paradigme féminin en rappelant que l’œuvre terminale de FREUD situe « le progrès de la civilisation dans l’instauration du « nouveau règne de la spiritualité », corrélé à la paternité » tandis que « le féminin infernal représente le lieu d’une radicale rébellion intestine. »

Selon la thèse développée dans Malaise dans la civilisation, les femmes contrarient l’élan civilisateur. Citant FREUD, Sarah KOFMAN rappelle qu’« elles soutiendront les intérêts de la famille et de la vie sexuelle alors que l’œuvre civilisatrice deviendra de plus en plus l’affaire des hommes, imposera à ceux-ci des tâches de plus en plus difficiles et les contraindra à sublimer leurs pulsions, sublimation pour laquelle les femmes ont été peu éduquées.»

 

LES DESTINS POSSIBLES DE LA FEMME

 

FREUD considère que diverses voies s’offrent à la femme selon sa manière de réagir au complexe de castration :

  1. L’inhibition et la névrose. Cette voie est celle du refoulement exagéré des motions masculines qui font alors retour sous forme de symptômes hystériques.
  2. La surcompensation virile ou complexe de virilité correspond selon FREUD à la situation de la femme n’ayant jamais accepté son destin de femme.
  3. La féminité normale.

Quels sont les traits de cette normalité ?

La femme normale, selon FREUD, est celle qui ne se remet jamais de son statut d’être castré. Cette envie de pénis inextinguible ne tarira que lorsqu’elle sera remplacée par le désir d’enfant. Cela relève d’un impératif quasi moral. En effet, FREUD écrit : « Le désir insatisfait de pénis doit (soll) se muer en désir de l’enfant. » Le comble du bonheur pour la femme étant de mettre au monde un enfant porteur de pénis. Ainsi que le souligne J. ANDRÉ, « La féminité, à peine envisagée, se dissout dans l’héritage de la masculinité originaire. »

Mais il est un autre destin que FREUD envisage pour la femme.

Dans « Grande est la Diane des Éphésiens », publié en 1911, il développe la thèse de la permanence de la Grande Déesse Maternelle, qui, d’Oupis à Marie en passant par la Diane d’Éphèse, fait de la vierge un idéal de féminité, thèse au cœur de laquelle la femme est présentée comme celle du père inconscient qu’il s’agisse du père œdipien ou du père assassiné de la horde, autant dire comme la femme de Dieu. Pour construire cette thèse, FREUD, tributaire du savoir de son temps, s’appuie sur la théorie du matriarcat aujourd’hui rejetée par la quasi-totalité des chercheurs en sciences sociales.  Ayant fait de la mère, la figure idéale de la femme, il n’est pas surprenant qu’il ait pu voir dans la femme divinisée une figure idéale de la mère. Mais ainsi que le note Markos ZAFIROPOULOS, « s’il y a bien eu des Déesses-Mères dans l’Antiquité grecque et ailleurs, elles ne trouvent leur sens qu’à être convenablement replacées dans une logique plurielle les disqualifiant toujours comme La Grande Déesse. Cette recherche du Graal est vouée de la même manière à l’échec pour ce qui concerne le monde de l’inconscient, où l’on ne retrouve ni ressorts d’idéalisation symbolique de la mère à l’issue de l’œdipe, ni Nom-de-la-Mère. »

 

L’HYSTÉRIQUE

 

Reste que de toutes les femmes qu’il rencontre en cure, l’hystérique représente pour FREUD un cas à part.

Qui est l’hystérique ? Inutile de revenir sur l’étymologie du mot dérivé du grec hystera désignant l’utérus. C’est à travers le cas de Dora que FREUD évoque cette pathologie symptomatique du « mouvement de révolte de la femme contre un ordre social où s’est installée la domination des femmes par le surmoi des hétérosexuels eux-mêmes dominés par la puissance surmoïque du Père mort. »

Outre le fait que la sexualité féminine est plus complexe que celle de l’homme, elle résiste davantage au viol de la science, est moins accessible aux recherches. Ce profond silence qu’il compare à une porte verrouillée, FREUD s’efforce d’y mettre un terme au moyen d’une cure qui ne peut se passer d’un simulacre de tendresse, dans le transfert, « levier le plus puissant » pour lever le verrou, faire apparaître au grand jour des secrets enfouis dans les profondeurs. Des secrets qui rendent malade : c’est cela l’hystérie. Entre le corps médical et le corps de la femme hystérique, la lutte pour la maîtrise se joue sur la frontière de la différence sexuelle.

À travers leurs attaques, les hystériques rejouent sur et dans leur propre corps, une scène primitive incarnée, une relation de possession désirée par leur sexe mais haïe par leur Moi, réalisée dans un unique corps bisexué, dont une partie masculine attaque sexuellement la partie féminine. Depuis la nuit des temps, « les explorateurs d’utérus », ainsi que les nomme Jacqueline SCHAEFFER, ont tenté d’éradiquer « la bête noire » et la sollicitation masochiste des hystériques va répondre à la demande d’exploration des médecins. Elles se maltraitent et se font maltraiter. « Ce qui est le plus choquant pour le Moi, nous explique SCHAEFFER est la condition de la jouissance. C’est là le message de l’hystérique. Elle s’arc-boute, elle s’offre et se refuse à la fois à la pénétration, elle veut et elle ne veut pas, elle veut qu’on la force, mais l’homme pris d’angoisse de féminin, se replie sur ses positions d’ordre scientifique, moral et religieux. L’hystérie questionne donc la frigidité masculine. »

L’une d’elles, Emmy von R.…, réagit brutalement à l’insistance de FREUD : « Ne me touchez pas ! Ne dites rien ! Ne me touchez pas ! » Sans le savoir, elle invente la situation psychanalytique.

Aragon et Breton décrivent l’hystérie comme la plus grande découverte poétique de la fin du XIXème siècle, un état mental, la subversion des rapports qui s’établissent entre le sujet et le monde moral. Un moyen suprême d’expression.

De nous jours, elle continue à susciter fascination et rejet. « Et répression, précise SCHAEFFER. Comme la poussée constante de la pulsion sexuelle. Comme le féminin et ses grandes quantités de libido. »

A la fin de sa conférence « La féminité », FREUD s’exprime en ces termes : “Si vous qualifiez cette idée de fantaisiste, si vous pensez qu’en accordant tant d’importance au rôle que joue, dans la formation de la féminité, le manque de pénis, je suis la proie d’une idée fixe et alors je reste désarmé.” Le terme “désarmé” semble confirmer l’idée de maîtrise que sous-tend la théorie freudienne, maîtrise dans le sens d’une cohérence nécessaire autour de la pièce maîtresse de primat du phallus sans laquelle tout menace de s’effondrer. Le manque n’est-il pas en mesure de définir un sujet tout autant que le plein ?

 

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